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Balthasar Burkhard, retour sur une œuvre

Une double exposition à Winterthour dévoile l’œuvre multiple du Bernois, démonstration éloquente de la manière dont il est passé de photographe documentaire à plasticien

Balthasar Burkhard dans son atelier, 1995. — © Balthasar Burkhard.
Balthasar Burkhard dans son atelier, 1995. — © Balthasar Burkhard.

Deux musées pour une seule exposition. Il fallait cela pour accueillir en majesté l’œuvre de Balthasar Burkhard. Le Fotomuseum et la Fotostiftung de Winterthour consacrent une grande rétrospective à l’artiste bernois, la première depuis sa mort en 2010. Une présentation chronologique dont la pertinence est de pointer l’évolution d’une carrière, entre photographie documentaire incontournable après-guerre et revendications artistiques. Le dernier combiné de la sorte avait été un hommage à Robert Frank, en 2005.

Logiquement, la Fondation suisse pour la photographie héberge les premiers travaux de Balthasar Burkhard. Trois petits clichés, d’abord, pris en course d’école avec l’appareil paternel. Trois paysages de montagne flanqués de poteaux électriques, honorablement cadrés pour un enfant de 8 ans. Le plus intéressant est évidemment à venir. Le premier reportage de l’apprenti chez Kurt Blum montre des élèves appliqués devant leur professeur. Une série très contrastée sur un troupeau de vaches et son jeune gardien vaut à son auteur une bourse fédérale pour les arts appliqués. Nous sommes en 1963.

Expérimentations

A partir de là, Burkhard se mêle au milieu de la Berne bohème et artistique. Ce sont les prémices à l’évolution de sa carrière. Il tire le portrait de nombreux artistes, Esther Altorfer, Roy Lichtenstein ou Armand Gatti, documente les performances et photographie les expositions de la Kunsthalle. Surtout, il partage son quotidien avec une bande de créateurs, dont le célèbre commissaire Harald Szeemann, Markus Raetz, Urs Lüthi ou Jean-Frédéric Schnyder.

Au tout début des années 1970, il expérimente les tirages monumentaux. La banquette arrière d’une berline, paquet de clopes et blouson abandonnés, distille une autre aura en très grand format. «Burkhard vit avec les artistes de son temps. Il expérimente ce grand format avec Raetz. Cela ne se faisait pas encore en photographie mais les autres artistes, Richard Serra notamment, faisaient tous des déclarations sur comment occuper l’espace», note Thomas Seelig, co-commissaire de l’exposition et conservateur au Fotomuseum.

© Estate Balthasar Burkhard
© Estate Balthasar Burkhard

Une manière peut-être d’affirmer aussi que la photographie est un art à part entière. «Szeeman considérait alors la photographie dans son rôle documentaire, au service de la réalité. Il demandait à Burkhard de prendre des images des performances ou expositions mais ne l’a jamais invité à exposer. Cela devait être frustrant pour Burkhard», estime Martin Gasser, conservateur à la Fotostiftung et également commissaire.

© Estate Balthasar Burkhard
© Estate Balthasar Burkhard

Car ce que montre avant tout cette double exposition, c’est l’oscillation permanente entre une photographie documentaire et plasticienne. Comme le visiteur traverse la rue pour se rendre d’un musée à l’autre, Burkhard a fait le pas. Sur les murs du Fotomuseum, une série de genoux accueillent les visiteurs, gigantesques. Puis ce sont des variations sur les nuages, des vues aériennes de métropoles ou de montagnes; Burkhard, fils de pilote, va et vient avec les thèmes et les techniques. «Il travaillait en déclinaisons, cherchant toujours une nouvelle manière d’aborder les genres. Les paysages, par exemple, il ne les photographie pas de face comme tout le monde, mais d’en haut ou d’en bas», relève Thomas Seelig.

© Estate Balthasar Burkhard
© Estate Balthasar Burkhard

Histoire de l'art

En 1997, dans le livre pour enfants Klick! (Lars Müller), Burkhard affiche une série d’animaux, chacun pris isolément devant une bâche grise, représentant unique et idéalisé de son espèce. L’artiste renoue avec la tradition photographique de l’inventaire et avec l’esthétique des débuts du médium. Une émouvante éclosion de coquelicots, enfin, est la seule image en couleur de l’exposition. «En photographiant la nature à la fin de sa vie, il a certainement voulu s’inscrire dans le contexte plus large de l’histoire de l’art, analyse Martin Gasser. Prenez l’image de ces vagues, hommage à Gustave Courbet, ce n’est pas seulement parce qu’il aime la mer, c’est une réflexion sur la place de la photographie dans l’histoire de l’art.» Mais malgré de nombreuses expositions ici et à l’étranger, Burkhard reste une sorte d’insider, peu connu hors de la Suisse alémanique, desservi peut-être par ses nombreuses commandes commerciales et architecturales.

La dernière salle propose une plongée fascinante dans les archives de l’artiste, impensable avant sa mort. Où l’on voit comment il étudiait diverses manières de tirer et de présenter une image – cadre rectangulaire ou épousant les formes d’un corps –, comment il adaptait une série à son lieu d’exposition. On retrouve les genoux gigantesques, alignés comme des soldats au garde-à-vous puis disposés comme une forêt de peupliers. Quel que soit le propos, Burkhard cherchait la bonne formule. «L’évolution de sa carrière montre celle de la photographie, sur le même laps de temps devenue un médium indépendant. Il en a été le reflet et peut-être même parfois le déclencheur», conclut Martin Gasser.

Balthasar Burkhard , jusqu’au 21 mai 2018, au Fotomuseum et à la Fotostiftung de Winterthour. Catalogue aux Editions Steidl.