Nadav Lapid, Ours d’or : « Abjurer, parjurer, abhorrer »

Nadav Lapid en conférence de presse, après avoir reçu l'Ours d'Or (69e Berlinale) ©Getty - 	picture alliance
Nadav Lapid en conférence de presse, après avoir reçu l'Ours d'Or (69e Berlinale) ©Getty - picture alliance
Nadav Lapid en conférence de presse, après avoir reçu l'Ours d'Or (69e Berlinale) ©Getty - picture alliance
Publicité

Après "L’institutrice" et "Le policier", le réalisateur Nadav Lapid revient avec un film très autobiographique : "Synonymes", Ours d’Or à la dernière Berlinale. L’exil de Yoav, jeune israélien qui a quitté son pays pour s’installer en France et habiter une langue... En salles aujourd'hui.

Avec

Synonymes est un film construit sur les souvenirs... Quelques temps après avoir effectué son service militaire, Nadav Lapid a fuit Israël pour s'installer à Paris. 

J’ai développé un désir de fuir mon passé israélien. Je voulais mourir en tant qu’israélien, naître en tant que français. Je voulais être français et enterré au Père Lachaise.

Publicité

« Abjurer, parjurer, abhorrer »… Yoav se munit d'un dictionnaire de la langue française, qu’il lit, mémorise et récite comme une poésie ou comme une liturgie. Son rejet d’Israël passe par celui de sa langue natale, l’hébreu, qu’il ne veut plus parler.

Chaque mot en français me paraissait magique, je pouvais répéter chaque mot encore et encore et encore, pendant des heures, des heures et des heures. 

L’hébreu, d’abord, c’est ma langue. C’est la langue où tout est transparent, où je ne suis pas en train de réfléchir. C’est ma langue pour le mieux et pour le pire. Mais en ce moment, c’est aussi la langue de la guerre, qui a été volée par des militants, des officiers, des soldats ; volée par des poètes. 

Je crois qu’il y a un narrateur en manque de langue. Donc il doit aussi parler avec son corps, ses hanches, ses jambes, son sexe. Il danse les mots, il marche les mots, il se bat pour les mots. Il asperge des synonymes français… c’est un rapport très physique.

Durant sa première nuit à Paris, dans un grand appartement bourgeois du VIème arrondissement, vide, Yoav se fait voler ses quelques affaires. Il est sauvé le lendemain matin par Emile et Caroline, un couple de jeunes bourgeois rentiers. Elle joue du hautbois, lui écrit. Une relation étrange s'installe entre Yoav et le couple...

Je pense qu’il y a beaucoup de choses contradictoires… Il y a aussi un échange, la culture ou l’éducation, les histoires, la libido et le corps. Chacun désire ce qu’est l’autre. Une vraisemblance, un sentiment de vraie trouvaille, une vraie affection. Tout part de la même génération. On écoute la même musique, on couche avec la même fille, on porte les mêmes vêtements. Je pense qu’il y a de tout. 

Autre grand thème : le service militaire. S'il n'est qu'effleuré, on comprend qu'il occupe une place centrale dans la vie passée de Yoav, comme dans celle de tout jeune israélien.

Je crois que le service militaire en Israël commence quand vous avez quatre ans. J’ai filmé pas mal de mariage, et il y a toujours ce concept du mariage comme le plus beau jour de votre vie. Pour nous, il y a cette idée que le service militaire est ce plus beau jour de votre vie, il est la chose la plus déterminante. On va découvrir de quoi vous avez été fait.

Mon premier jour à l’armée, je me suis dit : "Wow, j’y crois pas, enfin je suis soldat". C’est vraiment le moment le plus crucial de la vie de chacun. Multiplié à l’échelle nationale, ça façonne une conscience, ça façonne une nation.

Nadav Lapid, enfant, s'est pris de fascination pour Napoléon. Yoav, lui, choisit Hector, face à Achille... Le choix d'un perdant.

En Israël, on grandit avec la fascination pour le vainqueur. Vous les Français, vous avez perdu pas mal de guerres et vous êtes encore ici. Nous en Israël, il faut qu’on gagne sinon on est foutus. Il y a quelque chose de subversif par rapport au mythe des victoires permanentes israéliennes. Je pense que, quand Hector fuit, c’est pas la guerre qu’il fuit, c’est la mort. Ça va au contraire du mythe du soldat israélien.

Retour, donc, sur le rapport du réalisateur à Israël, et à la France, où il a découvert le cinéma.

Je suis ultra israélien, entièrement israélien. Je l’ai compris une fois arrivé à Paris. Sur les Champs Elysées, alors que je suis entouré de 10 millions de personnes, tout le monde aurait pu remarquer qui n’était pas français, du moins c’était la sensation que j’avais. Je suis israélien, mais j’espère que c'est ce que ça veut dire : « être en conflit » avec votre identité.

Quelqu'un a un jour dit : "La patrie, c’est quelque chose dont vous avez honte." Je crois que c’est une clef pour déchiffrer cette question de l'identité. (...) Le film peut être lu comme une déclaration d’amour et de haine envers Israël, mais aussi envers la France. On est critique envers des choses qui nous importent, envers celui pour qui on ressent de l’intimité. 

La Grande table idées
32 min

Extraits sonores : 

  • Bande-Annonce - Synonymes
  • Extrait - Synonymes
  • Le bon plaisir - Nancy Huston - 28/06/1997
  • Avraham B. Yehoshua - Identité israelienne
  • Jean Eustache

L'équipe