ELLE. Comment faire la différence entre une simple mauvaise passe dans une relation et une crise plus profonde, qui nécessite peut-être une rupture ?

Caroline Kruse. Une mauvaise passe peut être due à des causes ponctuelles extérieures au couple, comme les aléas de la vie professionnelle. Celui qui en est affecté est tendu, désemparé et l’autre ne sait pas forcément comment l’aider. Cela peut aussi arriver à des moments de passage, quand on franchit une étape, même si elle est heureuse, comme l’installation dans un appartement, le mariage, ou l’arrivée d’un enfant, qui nécessitent une nouvelle organisation de la relation, de nouveaux ajustements matériels et psychiques. Vivre des moments de flottement n’a rien d’inquiétant et il est bon de parler de son trouble, de se confier. Il ne s’agit pas de remettre en cause la relation, mais de se demander mutuellement de l’aide pour mieux traverser cette difficulté. On peut parler de crise profonde quand on a tout essayé pour en sortir et qu’on n’y arrive pas. Les querelles sont incessantes, on s’embrouille sur des détails d’intendance, mais l’on sent qu’il y a quelque chose de plus complexe que l’on n’arrive pas à expliciter. Le recours à un conseiller conjugal est une ressource utile pour que le couple comprenne les ressorts cachés de cette crise, et voir s'il a encore en lui des ressources suffisantes pour la surmonter, ou pas.

ELLE. Par quels moyens peut-on tenter de retrouver "l'illusion amoureuse des débuts", cette période durant laquelle même les petits défauts de l'autre nous semblent charmants ? Et surtout : est-ce vraiment un objectif sain ?

Caroline Kruse. C’est une utopie ! On peut trouver cela dommage, mais il vaut mieux y renoncer, sans quoi on se condamne à changer inlassablement de partenaire pour tenter de revivre l’état fusionnel dont on a la nostalgie. C’est tout l'enjeu d'une histoire amoureuse qui s’inscrit dans la durée : l’autre n’est pas ce double narcissique de moi-même, mais une personne réelle que je désire découvrir, mieux connaître au fil des années. C’est plus intéressant que de croire qu’on peut rester dans un passé figé, sans évoluer, sans s’enrichir, sans trouver dans le couple d’autres ressources, d’autres manières d’aimer. Il ne s’agit pas de se résigner, mais au contraire de garder en permanence un regard neuf sur soi et sur l’autre. 

ELLE. Existe-t-il une bonne manière de se disputer ?

Caroline Kruse. De manière générale, utiliser les principes de la communication non violente, parler de soi au lieu d’accuser l’autre, sont de bonnes résolutions à prendre. On évite de choisir le pire moment, par exemple celui où l’autre commence à s’endormir, pour parler des sujets qui fâchent. On se met d’accord en amont sur un mot, un geste qui, dès qu’il sera dit ou fait, suspend l’escalade de l’agressivité au moment où on sent qu’elle risque de devenir incontrôlable. L’essentiel est de ne pas blesser durablement son conjoint, et donc de renoncer à se servir de tout ce que l’on sait depuis tant d’années sur l’autre pour l’attaquer avec plus d’efficacité. Renoncer à frapper là où il ou elle est le plus fragile, sa confiance en soi, son estime de soi, son rapport avec sa famille d’origine, ses enfants. Il y a des paroles qu’il est difficile d’effacer une fois qu’elles ont été prononcées. Enfin, si on a l’impression que les disputes sont devenues le mode relationnel principal : se demander de quel dysfonctionnement du couple elles sont le symptômes et ce qu’elles cherchent à la fois à dire et à masquer.

ELLE. Comment gérer une baisse de désir pour l’autre ?

Caroline Kruse. Le fait de se sentir moins désiré·e ou de ressentir moins de désir soi-même est souvent interprété comme un signe grave. Ce n’est pas à négliger, mais ce n’est pas non plus à dramatiser, au risque de renforcer ce qui n’est peut-être qu’un phénomène passager. C’est une utopie dangereuse de penser qu’on se désire tout au long de sa vie de la même manière avec la même intensité. On touche là à un domaine particulièrement sensible de l’obligation de performance, avec son corollaire : la mise en œuvre annoncée de l’échec. Il est préférable de faire baisser la tension, en ne s’interdisant pas des gestes de tendresse sous prétexte que l’autre “va penser que je veux aller plus loin”, ne pas les refuser pour les mêmes raisons alors qu’on en a envie. Ne pas avoir envie de faire l’amour à un moment donné ne signifie pas qu’on ne le fera plus jamais, ni qu’on n’aime plus son partenaire, ni même qu’on ne le désire plus. Mais c’est mieux de le dire.

ELLE. Vous conseillez de travailler sur soi plutôt que sur l'autre. Pourquoi ? 

Caroline Kruse. Parce que le couple est un système et que si l’un des deux modifie quelque chose dans ses attentes ou ses comportements, l’autre sera amené à bouger lui aussi. Ensuite parce que travailler sur soi permet de sortir d’une position de victime peu gratifiante et qui consiste à croire ou à dire qu’on n’est pour rien dans tout ce qui se passe, que tout est de la faute de l’autre. Essayer de réfléchir à la part que nous prenons dans les difficultés permet de mieux se comprendre soi-même et de mieux se faire comprendre de l’autre. 

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* « Le savoir-vivre amoureux - Les secrets des couples qui durent », par Caroline Kruse, Editions du Rocher